dimanche 31 juillet 2016

Interview de l'auteur Julia Deck

crédit photo : Julia Deck – Paris avril 2014 © Hélène BAMBERGER

A l’occasion du Banquet littéraire d’Automne de Lagrasse en 2015 j’ai assisté, dans le cadre de mon master, à des conférences et des tables rondes ayant pour thème le Réel. Après l’une d’entre elle, Robin (du blog Le Bû de la Rue) et moi avons pu nous entretenir avec l’auteur Julia Deck (Viviane Élisabeth Fauville et le Triangle d’hiver). Une belle occasion d’en apprendre d’avantage sur ses mécanismes d’écriture, sa recherche éditoriale et la promotion de ses romans.

 Ce fut une expérience à la fois agréable et enrichissante, j'en garde un très bon souvenir. Je vous livre ici le fruit de cette rencontre, gentiment retranscrite par Robin.

Laura Ferret-Rincon — Une question basique pour commencer : quel a été le déclencheur qui vous a amené à l’écriture ?

Julia Deck — Il n’y a pas eu de véritable déclencheur, j’ai toujours eu envie d’écrire. J’ai commencé mon premier roman quand j’avais 10 ans, ça n’a pas été très loin mais j’avais déjà l’idée de ce que je voulais faire. Je ne pense pas tellement que ce soit la lecture qui déclenche l’écriture, c’est parallèle évidemment — on n’a pas envie d’écrire sans lire —, mais ce n’est pas l’accumulation des lectures qui donne envie d’écrire. C’est plutôt une envie de création qui pourrait aussi s’exprimer dans la musique ou la peinture.

L. F.-R. — Pour vous, il n’est pas obligatoire que l’écriture soit rattachée à la lecture donc ?

Si, c’est complètement rattaché à la lecture. Mais ce n’est pas la lecture qui donne envie d’écrire. Après, on ne peut pas écrire sans lire, j’imagine. En fait, j’en suis presque sûre. (Rires)

L. F.-R. — Vous nous avez parlé de vos habitudes d’écriture et de comment vous vous imposez un rythme de bureau. Écrivez-vous parfois de manière plus détendue, pendant des vacances ou des moments de pauses ?

Ce n’est jamais très détendu. Ça ne veut pas dire que ça doit être désagréable. Comme je travaille en dehors de l’écriture, tous les jours où je ne travaille pas je vais écrire, pas forcément toute la journée, mais je ne prends jamais un mois ou une semaine à ne rien faire. Il n’y a pas réellement de pause. Par contre cela peut être dans des endroits très variés. Là, je vais rester une semaine dans les Corbières, par exemple. Je vais écrire trois heures par jour le matin, peut-être quatre. Ce sont des semi-vacances. Et puis les vacances c’est aussi le moment de lire beaucoup, qui est un moyen de nourrir l’écriture.


L. F.-R. — Y a-t-il un cadre dans lequel vous préférez écrire dans ce cas ?

Eh bien je préfère les endroits magnifiques où il fait beau, chaud, où on est entouré de personnes à qui on a plein de choses à dire et où on mange bien plutôt que l’inverse. En même temps, on est bien obligé de se confronter à la réalité de temps en temps. (Rires)

L. F.-R. — Le cadre ici doit être assez inspirant.

Je ne sais pas… Par contre, je n’ai pas réussi à déterminer si on écrit mieux dans un beau lieu ou dans un cadre plus oppressant.

L. F.-R. — Par rapport à vos recherches éditoriales, comment cela s’est-il passé pour vous ? Vous avez choisi d’envoyer directement vos manuscrits aux Éditions de Minuit, mais aviez d’autres éditeurs auxquels vous envisagiez de les soumettre ?

Oui, j’avais pensé à plusieurs autres éditeurs. Ce qui m’a frappé quand j’ai travaillé pour des maisons d’édition — je lisais des manuscrits et des livres de littérature étrangère qui étaient susceptibles de les intéresser —, c’est que beaucoup de gens envoient des manuscrits au hasard, comme si les éditeurs étaient interchangeables. D’une part, ce n’est pas très agréable pour l’éditeur, qui a sa ligne éditoriale, fait des choix et constitue un catalogue. D’autre part, du point de vue de l’auteur, il me semble que c’est quand même très important de repérer ce qui se publie. Pas pour se conformer ou se démarquer, simplement pour savoir dans quel contexte on s’inscrit. Ça me parait essentiel, quand on veut écrire, de lire de la littérature contemporaine et de repérer qui publie quoi.

J’ai une affection particulière pour les Éditions de Minuit, donc je leur ai envoyé mon manuscrit en me disant qu’une fois que j’aurais leur réponse, sans doute négative, je l’enverrais à d’autres éditeurs qui m’intéressaient aussi. Et puis j’ai eu une réponse positive, ça m’a dispensé de l’envoyer ailleurs.

L. F.-R. — Comment s’est déroulée la promotion de votre livre avec les Éditions de Minuit ? Je pense notamment aux salons et aux rencontres que vous avez pu faire.

En général, les festivals ou les salons contactent l’éditeur pour des rencontres, des tables rondes, puis on organise un planning en fonction des disponibilités de chacun.

Vue de l'abbaye

Robin Fillon — Pour continuer sur le même thème, vu que nous sommes dans les jardins de l’Abbaye de Lagrasse, comment avez-vous intégré le banquet ?

De la même manière. Dominique Bondu, le directeur de la Maison du Banquet, m’a écrit et expliqué en quoi consistaient les rencontres pour me proposer d’y participer. J’entendais parler du Banquet de Lagrasse depuis longtemps mais je n’étais jamais venue, j’étais ravie.

R. F. — Être invité au Banquet de Lagrasse, c’est une belle récompense.

Oui ! Je ne sais pas si récompense est le mot exact, mais c’est très agréable de participer à un événement littéraire dans un lieu où il y a une telle attention au texte et aux métiers de l’écriture, en dehors des impératifs commerciaux. Là, je ne suis pas du tout en période de promotion puisque Le Triangle d’hiver est sorti il y a un an. C’est assez exceptionnel qu’on vous invite sans qu’il y ait un objectif commercial direct. L’écriture étant tellement solitaire, quand on arrive à en parler en dehors de la période de parution d’un livre, c’est formidable. Et puis c’est très agréable de sentir qu’on est lu, que ce qu’on a essayé de dire est passé. Qu’il a un écho, en tout cas.
La période de promotion a un rythme beaucoup plus dense. Ça peut devenir un peu mécanique. On parle exclusivement du livre qu’on vient de sortir, et on ne va pas le réinventer à chaque rencontre. Alors que là, on peut prendre de la distance. On parle de l’ensemble de l’œuvre, c’est-à-dire de deux livres en ce qui me concerne. (Rires)

R. F. — Est-ce que d’autres opportunités se sont offertes à vous depuis la publication ?

C’est vrai que la publication donne accès à beaucoup de ressources auxquelles on n’a pas accès quand on n’est pas édité. Mais ce n’est pas le cas partout. Par exemple, l’été dernier, j’étais en résidence aux États-Unis avec des écrivains, des plasticiens, des musiciens…, et certains écrivains n’avaient pas encore publié de livre. Ils avaient publié des reportages ou des nouvelles dans des revues, mais pas dans une maison d’édition. Ce n’était pas un prérequis pour intégrer la résidence. Là-bas, on encourage aussi les personnes qui débutent du moment qu’ils sont dans une démarche sérieuse, alors qu’en France il faut avoir publié pour avoir accès à certaines structures.

R. F. — Comment s’est passée l’entrée dans cette résidence ? Elle s’est faite sur dossier ?

Oui, il faut remplir un dossier de candidature et répondre à un certain nombre de critères. Beaucoup de résidences sont répertoriées sur le site de la Maison des Écrivains avec les critères d’éligibilité.

R. F. — En 2005 vous décidez de vous consacrer à l’écriture tout en travaillant comme pigiste, jusqu’à la publication de votre premier roman en 2012. Combien y a-t-il eu d’essais durant cette période ?

En fait, j’ai fait une formation pour travailler dans la presse comme secrétaire de rédaction pigiste en me disant que ça me laisserait le temps d’écrire. Je voulais m’y mettre depuis longtemps mais je n’arrivais à écrire que des petites chroniques ou des nouvelles parce que je n’avais pas assez de temps — et pour l’écriture, la base, c’est le temps. Je me suis dit que j’allais enfin pouvoir en faire ma priorité. Après ma formation, il a fallu trouver du travail. Puis, quand ça s’est un peu installé, en 2007, je me suis vraiment attelée à un projet de roman, disons à mi-temps. Mon premier manuscrit m’a pris deux ans, deux ans et demi. Il n’a pas été publié. Tout de suite après, j’ai embrayé sur Viviane Élisabeth Fauville, pour lequel j’ai signé chez Minuit en 2011. Finalement, ça n’était pas si long que ça. J’étais très investie et j’ai travaillé avec beaucoup de sérieux. Sérieusement, je ne sais pas, mais avec beaucoup d’esprit de sérieux. Peut-être un peu trop.

R. F. — Pourriez-vous nous parler un peu plus précisément de votre procédure d’écriture ?

Ah mais ça n’a vraiment rien de très excitant. C’est drôle, on entend souvent cette question, comme s’il y avait une réponse miraculeuse, un truc magique qui pouvait déclencher l’écriture. (Rires) Je vous assure que, de mon point de vue, et de ce que j’ai pu entendre par ailleurs, c’est un processus long et fastidieux qui consiste à s’asseoir derrière une table, devant un ordinateur, et qui prend beaucoup de temps. Ça commence le matin, on s’arrête pour déjeuner, on reprend l’après-midi. C’est un job de bureau, quoi.

L. F.-R. — Et pour la réécriture, vous fonctionnez de la même manière ?

En général, le matin je relis ce que j’ai fait la veille, je passe peut-être deux heures — ça dépend du volume de ce que j’ai écrit — à le retravailler, puis je passe deux heures à inventer. Je déjeune, je reprends ce que j’ai écrit le matin, puis j’avance encore un peu. Je suis plus ou moins exigeante avec moi-même sur la réécriture. Si je sens que j’ai avant tout besoin d’avancer, j’y vais plus légèrement. Mais j’essaie toujours de faire le mieux possible avec les moyens que j’ai au moment donné. À ce point, je n’ai pas de recul sur l’ensemble du projet, mais je fais en sorte que ce soit le plus fignolé possible au niveau microscopique. Puis, dans un second temps, j’essaie de réenvisager le chapitre dans une perspective d’ensemble.

R. F. — Qu’est-ce qui importe le plus pour vous ? Vous apportez une grande importance à ne jamais répéter et écrire ce qui a déjà été dit dans la forme. Vous percevez-vous plus en conteuse d’histoire ou en plasticienne de la langue ? Et rechercherez-vous toujours ce vertigineux palpable dans vos prochains textes ?

J’aime bien le vertige. Enfin, le vertige théorique, parce que dans la vraie vie j’ai horreur de ça. (Rires) Conteuse d’histoire, par contre, c’est une expression que je déteste. Vraiment. Ça ne me dérange pas tellement pour les autres s’ils l’assument, mais moi ça ne m’intéresse pas du tout. Si c’est pour enchaîner les scénarios, je me dis à quoi bon. Dans un film ou dans un livre, le sujet va m’intéresser par la manière qui le fait tenir debout. Des histoires, tout le monde en a déjà entendu plein. Ce qui est intéressant, c’est l’invention. On démarre avec une forme informe, un magma. Et petit à petit on finit par faire émerger quelque chose qui semble juste par rapport à l’idée confuse qu’on avait au départ, et qui est recevable par un autre. Ça c’est excitant.

Le 24 octobre 2015, à Lagrasse.

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