dimanche 28 août 2016

Christian Grenier donne la parole à Logicielle

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J’ai connu Christian Grenier au collège, grâce à ses livres : les Enquêtes de Logicielle, qui ont marqué mon adolescence. Récemment, j’ai eu la chance de converser avec lui pour vous proposer une interview sur son parcours et ses processus de création. Comme il y a énormément à dire, je voulais renouveler l’expérience, en sortant toutes fois des questions habituelles (pour lui, qui a répondu à beaucoup d’interview, cela pouvait être lassant !). J’ai donc imaginé interviewer son personnage, Logicielle. Pour notre plus grand plaisir, Christian Grenier s’est prêté au jeu, ainsi que sa fille, Sophie, qui lui a directement inspiré le personnage. J’ai entrecroisé leurs réponses et, bien qu’ils ne se soient pas concertés, vous verrez que celles-ci se rejoignent sur certains points. 
Pour plus de lisibilité, cet article a été coupé en deux. Vous pourrez retrouver la seconde partie la semaine prochaine.


1. Bonjour Logicielle ! Merci de participer à cette petite interview. Je vais vous poser une dizaine de questions, n’hésitez pas à intervenir ou à donner des précisions. Alors, votre véritable nom est en réalité Laure-Gisèle, Logicielle est le pseudonyme donné par vos collègues en raison de votre amour de l’informatique. C’est assurément un drôle de surnom qui se retient facilement ! Est-ce qu’il vous plait ou bien le subissez-vous ?

C.G : Quand mes camarades de l’IUT d’informatique m’ont affublée de ce surnom, j’avoue avoir été à la fois surprise et irritée. Peu à peu, j’ai constaté qu’il me collait à la peau, comme un vêtement qui au départ vous gêne aux entournures et qui, finalement, vous va très bien.
Si Laure-Gisèle est un prénom original ( merci, papa et maman qui ont cru utile de m’associer chacun à leur mère respective, comme c’était autrefois la mode ! ), il est long à prononcer… et se prête peu à un diminutif : Lorette ? Gigi ? Le sobriquet Logicielle associe mes deux prénoms en livrant d’un coup la clé de ma passion… qui est devenue mon métier.
Après tout, ce n’était pas si mal trouvé !

2. Faire valoir vos compétences informatiques dans un milieu réputé masculin n’a pas été difficile parfois ? Ne vous êtes-vous pas heurtée aux mauvaises langues ?

S : Évoluer et réussir à faire son trou dans un milieu réputé masculin est compliqué en effet, mais finalement très dynamisant ; on apprécie chaque petite victoire au jour le jour et l’avantage dans ce milieu de l’informatique (et contrairement à certains autres), c’est que quand une victoire est gagnée, elle est véritablement acquise et on peut s’atteler à la suivante. Quant aux mauvaises langues, elles sont partout : allez faire un tour dans le salon de coiffure à côté de chez vous et ouvrez vos oreilles, vous verrez que le monde réputé féminin n’a rien à envier à celui réputé masculin !

C.G : Pour mon premier poste, à la brigade de Saint-Denis, j’ai dû me gendarmer ( hum… le terme n’est pas si mal choisi ) et jouer des coudes dès mon arrivée pour m’y faire une place4. Mon adjoint a été humilié d’être au service d’une femme, sa cadette qui plus est !
J’étais le seul élément féminin de la brigade, affublée d’une spécialité bizarre et nouvelle : l’informatique ! On me regardait avec un peu d’ironie, au bord du ricanement. Si j’avais été affectée au secrétariat ou à l’accueil, cela aurait été plus facile à admettre. Bref, j’ai aussitôt compris que je devais faire mes preuves. Quand on est une femme avec un poste de responsabilité – et quand on débute dans un poste, on n’a jamais droit à l’erreur ( une erreur pour un homme, on la lui pardonne ! ).
Je crois avoir su mettre Max dans ma poche, si j’ose dire, en le brusquant un peu, et en lui montrant, au moindre débordement de sa part, que c’était moi qui menais l’enquête. J’ajoute que le commissaire Delumeau m’avait forcément à l’œil. […] Mais j’ai vite compris que dans la brigade, il avait la même attitude avec tout le monde !

3. Germain est un ami de longue date, c’est également un mentor pour vous. Que vous a-t-il apporté ? Pouvez-vous nous dire quelques mots le concernant ?

S : Germain est comme… un père pour moi ! C’est le seul homme que je connaisse qui n’a aucun a priori sur les personnes (homme, femme, peu importe !) aucun jugement premier et qui ne se fie qu’à l’intelligence des gens, à ce qu’ils recèlent au fond d’eux. Il m’a apporté la mesure en toute chose et le sang-froid dont je manquais quand j’ai démarré.

C.G : Dès le premier contact, nous nous sommes un peu reconnus, ou trouvés : Germain n’avait jamais été marié, il n’avait pas eu d’enfant. Et soudain, une stagiaire de vingt-trois ans il lui tombait du ciel ! […]De mon côté, on sait que j’ai perdu mes parents à vingt ans. De façon presque naturelle, Germain a été pour moi un substitut paternel.
Ce qu’il m’a apporté ? Toutes les ficelles du métier ! Tout ce qu’un père aurait pu livrer à sa fille : conseils, avertissements, affection, protection…
J’ajoute qu’il a beaucoup d’humour – Max aussi… mais ce n’est pas le même. Celui de Germain est toujours teinté de gentillesse, d’indulgence, de tendresse, alors que celui de Max flirte avec l’ironie, il peut être acerbe et vindicatif !

4. Votre métier est tout de même très prenant ! Quels rituels ou petites choses faites-vous, une fois revenue à la maison pour souffler un peu et marquer une distance nécessaire entre travail et vie privée ?

S : Très bien, vous voulez tout savoir ? OK, vous allez être servie : je file aux toilettes et me prends une BD

C.G : Je fais hélas partie de ceux qui ont du mal à dresser une frontière entre les loisirs et le travail. Quand vous êtes chargé d’une enquête, il est difficile, une fois rentré chez vous, de mettre de côté tout ce qui vous encombre l’esprit. Un roman, un article, une émission à la télévision peut soudain vous faire établir un lien avec l’affaire qui vous préoccupe !
D’une certaine façon, je travaille donc tout le temps. Et cela, bien malgré moi !
Bon, j’ajoute que le fait d’être célibataire, sans enfants… et passionnée par l’informatique a longtemps été la cause de cet état d’esprit. Les choses sont en train de changer puisque je suis mariée avec Max et bientôt chargée de famille – vous êtes au courant ?

4. Vous avez aidé à la résolution de plusieurs enquêtes avant de prendre les rênes à votre tour. Y en a-t-il une en particulier qui vous revient en mémoire et durant laquelle vous avez eu peur que l’assassin triomphe ?

C.G : Que croyez vous ? J’ai toujours peur que l’assassin triomphe ! D’ailleurs, c’est parfois le cas !
Je suis humiliée de n’avoir pas encore mis la main sur le vrai responsable d’un assassinat, au cours de la croisière au cours de laquelle Max et moi nous nous sommes mariés5.
Aucune affaire ne ressemble à une autre ; et chacune est une énigme passionnante à résoudre… voyez-vous, ce qui me revient surtout en mémoire, ce sont les indices dont je dispose au départ. Il arrive que ce soit une piste très vague : une chaussure rose6, une clé USB3, une épée qui disparaît et qui semble avoir agi seule7…
Deux enquêtes m’ont cependant marqué plus que d’autres, sans doute parce qu’elles se déroulaient dans des mondes virtuels. Dans la première, projetée dans le Paris de l’an de grâce 1654, je devais retrouver l’assassin de Cyrano de Bergerac8. Pour cela, j’ai dû emprunter un avatar, donc me dédoubler et agir dans un monde qui n’était plus le monde réel. Au départ, je n’étais pas inquiète, puisque l’assassin était forcément mort, lui aussi. Mais je me suis tout à coup aperçue que je n’étais pas seule et que des assassins bien réels rôdaient dans le même univers reconstitué !
Dans la seconde, c’est dans le futur que j’ai été projetée9. Là, j’ai dû affronter plusieurs adversaires à la fois : ceux qui avaient capturé puis tué un otage et d’autres, plus sournois, dont un membre de ma famille… et mon propre adjoint, tous deux passés dans le camp adverse. A plusieurs reprises, j’ai cru ne jamais pouvoir m’en sortir !

5.Je sais que vous n’aimez pas trop parler de vous, mais laissez-moi vous poser une question plus piquante, qui, je le sais, ravira nos lecteurs ! (mais si, mais si !) Que pourriez-vous nous dire sur votre relation pour le moins surprenante avec votre collègue Max ? Vous adoriez le détester ?

S : Mais pourquoi mettez-vous cette dernière phrase au passé ? Je blague, bien sûr ! Max a des côtés terriblement agaçants, il titille vous voyez, comme le font souvent les enfants. Mais il a justement ce côté enfantin et tellement naturel et humain, souvent désarmant, qui me fait craquer… finalement. Si vous ajoutez à cela que c’est un homme dynamique, travailleur et obstiné, ils ne sont pas si nombreux de nos jours !

C.G : Ah… Max ! Ma relation avec lui est passée par plusieurs phases…
Comme je vous l’ai rappelé, nous avons commencé par nous heurter, une sorte de lutte de pouvoir4... Puis Max est tombé amoureux de moi, ce n’est plus un secret pour personne. Mais voilà : son attitude frôlait le harcèlement : il était devenu collant, il m’appelait tous les soirs10. Or, je tiens farouchement à mon indépendance.
Pas question d’avoir à mes côtés un homme 24h sur 24 ! Eh oui : nous sommes collègues !
Mais très vite, son opiniâtreté et sa gentillesse m’ont touchée. Sans que je veuille lui révéler que ses sentiments étaient partagés. D’ailleurs, je n’étais pas sûre de moi, je ne voulais pas m’engager. Jamais je n’ai détesté Max ! Mais souvent, son humour et sa jalousie maladive m’irritaient et m’empêchaient de me rapprocher de lui. Longtemps, tous les deux, nous avons joué un peu au chat et à la souris. Il a voulu tester ma jalousie11. Il m’a provoquée à plusieurs reprises. Mais peu à peu, lui et moi avons compris que nous ne pourrions pas nous passer l’un de l’autre.

Retrouvez ici la seconde partie de l'entretien 

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