vendredi 8 avril 2016

Les processus d'écriture de Christian Grenier

Photographie de Christian Grenier
   À ma passion pour l’écriture se mêle une véritable fascination pour l’acte de création. De quelle façon naissent les idées ? Quelle est la genèse de ce roman qui nous a tant plu ? Quel est le parcours de tel ou tel auteur ? Cela m’a conduite à ouvrir ce blog pour vous inviter dans les coulisses de l’écriture. Je souhaitais vous montrer l’apprentissage (car écrire s’apprend, ce n’est pas inné comme on peut le penser, même si évidemment certains ont des facilités), les échecs, les doutes, le tâtonnement, la persévérance, l’aboutissement aussi. J’ai abordé mon parcours, mes projets... Mais je trouve qu’il aurait été un peu creux de ne parler que de ma personne, alors qu’il y a des auteurs qui ont énormément à nous apprendre.
 C’est ainsi qu’en relisant l’Ordinatueur, ce roman policier qui m’a fait apprécier la lecture lorsque j’étais ado, j’ai eu envie de prendre contact avec son auteur Christian Grenier. Je voulais le remercier, lui témoigner mon intérêt pour ses nombreux écrits. Je lui ai aussi proposé une interview, dans l’optique d’écrire cet article. Il m’a répondu et a accepté. Mais il m’a suggéré, dans un premier temps, d’avoir recours aux nombreuses réponses présentes sur son site, et de revenir vers lui si d’autres choses me passaient en tête. Je me suis donc entretenue avec lui (non sans émotion ne le cachons pas) pour parler un peu de la façon dont j’allais réaliser cet article.
Si j’ai tant tardé à le poster, c’est parce que le sujet est si vaste que je ne savais pas par quel bout le prendre. Finalement, il sera découpé en plusieurs parties. 
La première est donc consacrée aux processus d’écriture de Christian Grenier à qui je laisse la parole :
   (Les réponses qui suivent proviennent de son site, je vous invite à aller le visiter pour en apprendre davantage.)


Où puisez-vous toutes ces idées ? D’où vient l’inspiration ?

J'écris depuis si longtemps que je ne me pose plus la question !
Mais je crois que l'inspiration n'a rien de mystérieux : c'est le plus souvent la vie quotidienne, les événements de tous les jours, les disputes, les conversations téléphoniques, les souvenirs, ce qui se passe dans la famille, à l'école, dans le milieu où l'on travaille... […]
Évidemment, une idée n'est pas un roman. Il faut la cultiver, la faire germer et grandir. Là encore, c'est une question d'habitude et surtout d'entraînement. Un écrivain sent qu'il y a peut-être une idée de roman là où ne relevez qu'un fait banal ou une réflexion ridicule.
L'imaginaire, c'est comme le corps : il se cultive et s'entretient !

Quand une idée jaillit, prenez-vous des notes ?

Non. Ce serait difficile car j'ai trois ou quatre idées par jour et elles me viennent à n'importe quel moment : en prenant ma douche, en conduisant, en mangeant, en faisant du vélo, en regardant une émission qui ne m'intéresse pas ( en ce cas, mon esprit vagabonde ! ).
Pas question de toutes les noter et les garder. D'ailleurs, je ne peux pas écrire trois romans par jour — au mieux, j'en écris trois par an ! Le lendemain, si l'une des idées de la veille revient, si elle me semble intéressante, j'essaie d'en imaginer les prolongements. Ainsi, un sujet peut me trotter dans la tête pendant des semaines, des mois, des années. Jusqu'à ce que j'aie la certitude qu'existe là une histoire digne d'être écrite.
Quant aux idées que j'oublie... eh bien heureusement qu'elles me quittent l'esprit, c'est qu'elles n'étaient pas si intéressantes que ça !

Est-ce que quelqu’un vous aide à écrire ?

Non. Le métier d'écrivain est très solitaire. Je ne parle pas de mes projets, ou très peu, parfois davantage à mes lecteurs fidèles plutôt qu'à ma femme, à ma fille ou à mes éditeurs !
Quand je me mets au travail commence un long marathon... mais je n'appelle personne pour solliciter un conseil ou demander de l'aide ! […]

Comment procédez-vous pour écrire un livre ?

La phase la plus importante est la plus longue est celle pendant laquelle je n'écris pas !
L'idée surgit, revient, se développe de jour en jour ; peu à peu, le décor s'installe, les personnages prennent corps, tissent des liens entre eux. J'imagine des rebondissements, des péripéties... Tout cela prend beaucoup de temps : des mois, parfois des années comme pour L'ordinatueur, Assassins.net ou même pour un texte aussi bref que Parfaite Petite Poupée : j'ai peaufiné cette idée pendant vingt ans avant de rédiger un récit de... dix pages !
Un jour enfin, le récit me semble au point dans ma tête : il forme un tout cohérent, son thème me semble original et ses personnages vraisemblables, il contient, au second degré, un certain nombre de réflexions susceptibles de faire rebondir l'imaginaire du lecteur. Et puis j'ai envie de passer à la phase de l'écriture pour que le livre existe vraiment, car aussi longtemps qu'une histoire ne vit que dans la tête de quelqu'un, personne d'autre ne peut la partager !

Quand vous commencez à écrire une histoire, la connaissez-vous en entier ou bien improvisez-vous au fur et à mesure ?

Si vous avez lu les réponses aux questions qui précèdent, vous avez déjà compris que je n'improvise pas : quand je commence à rédiger, tout est déjà en place ! Il est rare que mes personnages m'échappent, ou que je me laisse entraîner dans le fil de l'action ailleurs que là où je m'étais promis d'aller. Si je m'y risquais, cela risquerait de perturber l'ensemble d'un édifice dont le plan me semblait cohérent et dont les pièces étaient bien assemblées.
Evidemment, cela me réserve peu de surprises... mais je juge qu'ajuster mes idées avec des mots est déjà une tâche lourde, difficile, écrasante. S'il me fallait en plus imaginer les phases de l'action au fur et à mesure ![…]
J'utilise aujourd'hui d'instinct cette technique d'écriture particulière pour deux raisons :
1/ Autrefois, il m'est arrivé à plusieurs reprises de partir trop vite, d'improviser... et de rester bloqué au bout d'une semaine, de manquer d'idées ou — pire — d'enthousiasme. Baliser soigneusement le chemin à parcourir me permet d'éviter cet écueil. Et puis je me raconte des histoires dans ma tête depuis si longtemps !
2/ Les romans que j'écris ont souvent relevé de la SF ou du policier, deux genres qui supportent mal l'improvisation, le premier parce qu'il s'agit de conjuguer toutes les conséquences d'une hypothèse de départ ( voir « Ses choix littéraires » ), le second parce que je me vois mal me demander au bout de deux cents pages qui est le meurtrier, et quels sont les mobiles de son crime ! Il est évident qu'avant d'écrire la première ligne d'un roman comme Arrêtez la musique, je connais le coupable, ses motivations, ses complices !

Vous n’avez donc jamais l’angoisse de la page blanche ?

Non. Je ne me mets pas en danger !
Quand je m'installe pour écrire, ce n'est jamais en me demandant de quoi je vais parler, ni ce que je vais écrire puisque je maîtrise le récit. Hélas, l'histoire n'existe pas mot à mot, il faut la formuler, la rédiger — au sens propre du terme. C'est d'ailleurs la phase la plus délicate, la plus passionnante. D'un coup, dès la première phrase se posent des problèmes majeurs auxquels je n'avais d'ailleurs pas toujours pensé : faut-il écrire cette histoire au présent ou au passé ? Quelle sera “ la place du narrateur ” ? Faut-il dire “ je ” ou “ il ” ( ou “ elle ” ) ? Quel sera le ton de ce récit : familier, intimiste, ironique, grandiloquent, froid et détaché ? Le plus souvent, un écrivain n'est pas maître de son style mais il peut orienter la tonalité d'une histoire.

Combien de temps mettez-vous pour écrire un livre ?

Picasso, à qui l'on posait la question pour ses tableaux, avait l'habitude d'affirmer :
— Une heure et toute une vie !
Pour le parodier, j'ai envie de répondre :
— Deux mois et cinquante ans...
La rédaction d'un récit, on l'a bien compris, n'est pour moi que la deuxième partie du travail, la première consistant à mûrir longuement toute l'histoire. Et cette première phase de création peut s'étaler, on l'a vu, sur des années, elle se nourrit de toute la vie, de l'expérience humaine et littéraire du créateur. Cela n'est pas quantifiable.[…]
Mais habituellement, quand je monte un matin dans mon bureau pour me lancer dans l'écriture d'un roman, je sais que va commencer un long travail de rédaction : un, deux, trois mois pendant lesquels je vais, chaque jour, rédiger mon texte. Je me lève alors très tôt, surtout l'été. Je monte dans mon bureau et j'écris pendant six, huit, dix heures. Je ne m'interromps qu'à deux ou trois reprises : à dix heures et demie pour lire le courrier, à treize ou quatorze heures pour boire un café...

En cours d’écriture, vous corrigez beaucoup ?

Oui. J'élimine, je simplifie, j'élague.
J'ai coutume d'affirmer que le métier d'écrivain comprend 5% d'écriture et 95% de corrections, de relecture, de modifications, d'amélioration.
En fait, je tape très vite à la machine : huit ou dix feuillets à l'heure, si l'on me dicte un texte ou si je rédige du courrier.
Si j'écrivais au kilomètre sans rien reprendre ni corriger, je pourrais boucler l'écriture d'un roman en deux jours. Certains auteurs comme Gudule ou Evelyne Brisou Pellen procèdent d'ailleurs ainsi, et consacrent évidemment dix ou vingt fois plus de temps à la correction qu'à l'écriture ! Moi, j'ai une autre technique qui consiste à écrire par phases successives : un paragraphe, une ou deux pages... après quoi je m'arrête et je me relis. Commence alors une longue phase de relecture et d'amélioration.

Faites-vous beaucoup de recherches ? Vous documentez-vous ?

Tout dépend de l'ouvrage que j'écris.
Paradoxalement, je me documente assez peu quand j'écris un roman de SF. Comme je ne maîtrise pas trop mal l'ensemble des sciences et que je suis passionné d'astronomie depuis l'âge de douze ans, je n'ai pas à vérifier telle ou telle information. C'est d'ailleurs l'inverse qui se produit ; en lisant un article dans La Recherche ou dans Sciences & Avenir, j'ai soudain l'idée d'un roman !
En revanche, pour écrire Août 44, Paris sur scène ou mes Contes et récits des héros de la Grèce antique, j'ai consacré deux fois plus de temps à lire et à me documenter qu'à rédiger l'ouvrage en question ! Par exemple pour écrire ( en dix jours ) ce petit récit qu'est Anaxagore ou La pierre du philosophe, j'ai passé trois semaines à faire des recherches sur le Vème siècle avant J.-C., à étudier la vie de ce savant grec, à lire ses écrits et le récit de ses travaux par ceux qui l'ont connu, comme Diogène Laërce, à me replonger dans le Phédon de Platon, à m'interroger carte en main sur la ville de Lampsaque et sur certains phénomènes astronomiques vieux de 2500 ans ! […] Se documenter ne sert pas seulement à éviter les erreurs, cela permet de s'immerger dans une époque ou un domaine particulier, et aussi d'alimenter le récit. Eh oui, on tombe parfois sur des détails réels et inattendus qui permettent d'imaginer de nouveaux rebondissements !

Où écrivez-vous ?

C'est banal : dans mon bureau !
Ce qui est plus original, c'est que mon bureau est le grenier de la maison. Quand nous l'avons achetée, en 1990, c'était un lieu immense et sombre. Je l'ai aménagé moi-même en une immense pièce agréable. J'ai isolé le toit, posé quatre Vélux, un plancher, de la moquette. Aujourd'hui, je dispose d'une vaste pièce mansardée de 80 mètres carrés où sont rassemblés les livres d'une grande partie de ma bibliothèque.
En réalité, je travaille toujours au même endroit, sur quelques mètres carrés dont je ne m'éloigne guère. En pivotant sur mon siège, j'ai accès à l'ordinateur, au téléphone, à l'imprimante, à mes dictionnaires et encyclopédies et à un grand bureau où je peux écrire.
J'ai toujours rêvé d'avoir une vaste pièce. Sans doute parce que pendant quinze ans, quand nous habitions en banlieue parisienne, j'écrivais dans un placard : une penderie dans laquelle j'avais posé une planche, des rayonnages, ma machine à écrire, papier, carbone, dictionnaires. J'ai bien écrit vingt-cinq romans dans ce placard ! Là, je n'étais distrait par personne : ni par mon fils ( qui jouait souvent de la batterie dans la pièce voisine, il faisait partie d'un groupe de hard rock ! ) ni par ma fille ( qui dans une autre pièce écoutait NRJ en faisant ses devoirs ), ni même par le chat ou par le téléphone.

Pour écrire, avez-vous besoin d’une certaine ambiance, de conditions de travail particulières ?

Autrefois, je pouvais écrire n'importe où, dans des conditions parfois acrobatiques. J'ai ainsi rédigé Les cascadeurs du temps en 1975 tour à tour à la campagne, sur une terrasse, dans un train, en classe pendant que mes élèves rédigeaient leurs propres romans...
Ajourd'hui, c'est très différent !
D'abord, je dois avoir devant moi une longue période de plusieurs semaines sans contraintes : pas de déplacement, de visites, de voyages, de salons du livre... J'aime avoir une perspective de liberté, je supporterais mal d'entreprendre un roman en sachant que je vais devoir en interrompre l'écriture dans quinze jours.
Ensuite, je dois être en bonne condition physique et morale, c'est capital. Si je manque de dynamisme, si je suis fatigué, si j'ai des soucis ou des problèmes en cours à régler, inutile de me mettre au travail, ce que je ferai ne vaudra rien.
Enfin, quand j'écris, j'aime ne pas être dérangé ou interrompu

Quelle est la phase la plus difficile, dans l’écriture d’un roman ?

Le passage à l'écriture, justement, ce moment magique qui consiste à tenter de traduire en mots ce qui jusque là était de l'inexprimé. C'est le plus difficile, le plus délicat mais le plus passionnant. Là, on comprend soudain qu'on détient un pouvoir fabuleux, qu'on est en mesure d'entraîner l'esprit, le cœur et l'imaginaire du lecteur où l'on veut. Modifier un mot, une tournure, enlever ou ajouter une phrase, c'est orienter le récit — donc la préhension du lecteur, l'éclairage du texte. Cette phase d'écriture, de “ mise en mots ” relève aussi de la mise en scène théâtrale. Le décor, le texte, les personnages sont là ( dans ma tête ) mais il faut soudain leur donner vie, les mettre en mouvement, indiquer les intonations, les silences, les déplacements.

Utilisez-vous des personnages réels dans vos romans ?

Bien sûr !
Mes enfants, Sylvain et Sophie, apparaissent souvent dans mes récits ( notamment dans Le Multimonde ! ) Mais bien que j'utilise leurs noms, les personnages de mes romans ne leur ressemblent pas toujours. Encore dans Le Multimonde, le nombre de personnages imaginaires dont le modèle existe dans la vie réelle est très grand... mais le lecteur ne les repère pas toujours. 

On se retrouve très vite pour la seconde partie de l'article, 
Laura 



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